Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 17:59

Le vendredi 6 décembre 2013, 140 élèves avocats réunis au Parlement de Bretagne jurèrent d'exercer leurs fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité.

J'en étais.

On nous réunit dans la salle des pas perdus, dite salles des procureurs. Le décor y était fastueux. Jugez plutôt : les portes qui donnaient accès à la salle arboraient le monogramme de Louis-Phillipe ; le plafond peint affichait celui de Napoléon. Les abeilles de l'Hymette y côtoyaient l'hermine et la fleur de lys.

Ce n'était pas le Parlement d'antan ; c'était sa copie conforme mais cela ne vous vint pas un seul instant à l'esprit.

Nous étions 140. La plupart venaient de l'école de Rennes. Mais il y en eut d'ailleurs qui, inscrits dans les barreaux du ressort de la cour d'appel, vinrent prêter serment avec nous plutôt que dans leur cour d'origine.

La première partie de l'après-midi fût occupée par notre habillage et notre mise en place (oui, ce fût long d'installer tous ces petits Batman).

Puis vint notre remise de diplôme. Nous eûmes un petit discours de la part de notre directrice (que nous avions pas mal chahutée pendant notre temps de présence à l'école mais qui a priori ne nous en a pas gardé rigueur) et de notre présidente.

Ensuite, Déborah, déléguée d'un des groupes d'élèves, prit la parole pour quelques minutes. Elle eut l'excellente idée de nous faire lever et de nous faire jurer notre serment à haute voix, tous ensemble. Cela aura été l'unique fois de notre vie. Vous verrez ensuite pourquoi.

Puis ce fût mon tour et je prononçai les mots suivants.

"Bonjour.
La question que vous vous posez tous, et c'est la première question que je me suis posée lorsque Déborah m'a demandé de prendre la parole aujourd'hui, c'est pourquoi moi ?
Pourquoi à moi la tâche de passer des heures à me creuser la tête pour trouver quelque chose d'a peu près intéressant à vous dire ? Pourquoi à moi le risque de prendre une veste monumentale en essayant d'être vaguement drôle devant toute ma promo réunie ?
Hein, Déborah !? Pourquoi moi ? On en rediscute après si tu veux bien...
Déjà, je ne suis pas le plus représentatif de cette promo. Il y en avait des mieux placés : trois délégués (nous venons d'en voir une), deux présidents de BDE et deux vices-présidents.
Je ne suis pas le plus beau. Du côté des femmes, déjà, quand on regarde cette salle, on pourrait croire que toutes les mannequins de chez Elite ont voulu devenir avocates la même année. J'espère que vous voyez bien comment on fait du charme à une centaine de femmes en même temps (José, tu peux prendre des notes). Ensuite, du côté des hommes, il y avait quand même... Oui, enfin, il y avait surtout des femmes dans cette promo.
Je ne suis pas le plus malin. Un type qui est capable d'aller soutenir le droit qu'a Le Pen de nier la Shoah en plein mémorial sur l'holocauste… Et ça ne m'a même pas permis d'avoir une collab' chez Collard, c'est quand même un comble !

Je ne suis pas le plus drôle. Sinon, j'aurais déjà pu prouver le contraire dans les deux dernières minutes.

Je ne suis pas le plus cultivé, je ne cite pas Talleyrand, je ne collectionne pas les Beatles, je n'écris pas de livres, je ne dessine pas...
Bref, pour faire ce speech, il y en avait des plus belles, des plus beaux, il y en avait des plus cultivés, des plus drôles, des plus enthousiastes, des plus imaginatifs...
Merci donc à Déborah de me permettre de comprendre à quel point je suis banal.
L'autre soir, un soir banal qui sied comme un gant à type banal, je mangeais une raclette (plus banal tu meurs) avec un ami qui me dit, accrochez-vous bien, : "je n'en reviens pas que tu prêtes bientôt serment".
Moi, benêt comme une pomme, je lui demande : "pourquoi ? qu'est-ce que ça a de si extraordinaire ?"
Et vous savez ce qu'il m'a répondu ? Après 2 ans de formation, de cours, de stages, de stress de Capa, de stress de recherche de collab', de formalités administratives, de la perspective des premiers clients, bref 2 ans la tête dans le guidon et ce n'est pas prêt de s'arrêter ?
Il m'a dit que ce n'était quand même pas rien : que j'allais prêter serment devant la loi, devant la justice.
Je suis persuadé que chacun ici mesure le poids, la signification du mot "serment."

Nous venons de prononcer tous ensemble ce serment ; entre nous.

Mais dans quelques minutes nous allons jurer d'exercer notre profession avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité devant la justice elle-même et cela sera inscrit marqué noir sur blanc et conservé au greffe pour le reste de nos vies

C'est indélébile ; ineffaçable.
Nous n'allons pas juste devenir avocats. Nous n'allons pas juste rentrer dans une profession. Mais dans une vocation. Mieux : une exigence. Une exigence que nous aurons envers nous-même, une exigence que les autres auront envers nous.
Je connais plusieurs d'entre vous. J'aurais voulu en connaître plus. J'aurais voulu vous connaître mieux.
Mais je suis sûr d'une chose : je sais qu'aucun d'entre vous ne décevra. Nous ne décevrons pas.
Pour faire ce speech, il y en avait des plus belles, il y en avaient des plus beaux, des plus cultivés, des plus drôles, des plus enthousiastes, des plus imaginatifs...

Il y en avait de meilleurs et je me souviendrai longtemps que c'est parmi vous que j'ai passé mes deux ans de formation : parmi les meilleurs.
Je nous souhaite à tous beaucoup d'exigence et une grande carrière d'avocat."

Puis nous remerciâmes Quentin de s'être investi autant dans notre promotion et d'avoir permis que souffle un véritable esprit de groupe.

Grâce à lui, tout l'après-midi était retransmis en direct sur Internet et tous les proches des élèves qui n'avaient pas pu faire le déplacement pouvaient assister au triomphe de l'un des leurs.

Et ce fut la pause.

Nous rîmes, nous parlâmes, nous attendîmes.

Et ce fut la reprise.

On annonça : "la cour !"

Et la cour entra, toute de rouge et de blanc vêtue.

Le premier président fit son allocution.

Et Madame le procureur général requit que nous prêtassions serment et que la cour nous en donnât acte.

Alors le premier président nous lut les termes du serment et il nous appela un par un.

A l'annonce de son nom, chacun d'entre nous se mit debout, leva la main droite et dit "je le jure".

Nous étions avocats.

The final countdown
Partager cet article
Repost0

commentaires

S
Nice blog. A soon.
Répondre
V
Bonjour! Je suis une avocate étrangère et je veux passer le CAPA pour être inscrite au barreau français. D’abord, merci pour vos articles! Ils sont très interessant ... j’aimerais vous poser quelques questions sur l’an preparation du CAPA :) estce possible par mail? Merci de votre réponse.
Répondre
J
Bonjour,<br /> Avec plaisir. Écrivez à monnierjulien1@gmail.com<br /> Je vous remercie répondrai avec plaisir !
X
Profitez bien!!! Merci pour le partage
Répondre
A
Profitez bien de ces premières années, aussi riches de découvertes que de déconvenues !
Répondre
N
Merci grandement pour cet article, ou pourrais-je bénéficier de l'aide juridictionnel ? Connaissez vous un site spécialisé ? J'ai été arnaqué par un avocat escroc.
Répondre

Présentation

  • : Le blog d'un élève-avocat
  • : Ce blog a pour vocation de raconter l'itinéraire d'un élève-avocat !
  • Contact

Lectures Conseillées